Dansomanie réalisé le 13/12/2008 - Marlène Ionesco

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Interviews

© Photo: Mathieu Ganio a gauche Marlène Ionesco au centre et Dominique Khalfouni a droite

Quelle trajectoire personnelle vous a conduit à tourner des films sur la danse?

J’ai d’abord fait des études de cinéma et de théâtre. Mon premier film, je l’ai tourné alors que j’étais encore étudiante. Il s’agissait d’une fiction-document consacrée à Damia, une chanteuse d’avant Piaf. Le film a été sélectionné à Cannes et extrêmement bien accueilli. Il a même été vendu et j’ai ainsi gagné de l’argent, ce qui m’a permis de continuer dans cette voie. Mais moi, j’ignorais quel type de film j’allais réaliser par la suite. Dans mon esprit, le film suivant ne devait pas porter nécessairement sur une chanteuse, il devait être uniquement motivé par mes rencontres, mes choix ou mes attirances artistiques. J’ai ainsi écrit de nombreux scénarios, qui ont été refusés à la commission des subventions, et cela m’a en quelque sorte «bloquée». Parallèlement, j’avais fait une rencontre, celle de mon ex-mari, metteur en scène de théâtre et d’opéra [Petrika Ionesco, notamment à l’origine des décors de la Cendrillon de Noureev]. Je me suis alors plongée avec passion dans le monde du théâtre : j’ai notamment été assistante à la mise en scène, j’ai appris la direction d’acteurs… Pendant quelques années, j’ai donc laissé de côté le cinéma. C’est dans cet univers du théâtre que j’ai fait deux rencontres importantes : celles de Carolyn Carlson et de Larrio Ekson. C’est par eux que je suis revenue à la danse. Revenue, car je connaissais la danse, j’avais fait de la danse jusqu’à 15 ans… J’ai été fascinée par les chorégraphies de Carolyn Carlson et c’est donc sur elle que j’ai fait mon premier film sur la danse, intitulé Blue Marine. Il s’agissait d’une petite fiction de 12 minutes, tournée dans les souterrains de l’Opéra de Paris, et faite uniquement à partir de rushes.

Peut-on à partir de là percevoir un projet à long terme derrière cette galerie de portraits que constituent vos films sur la danse?


Après Blue Marine, le deuxième film que j’ai fait est La Barque sacrée, un film que je considère comme très important et abouti. J’ai eu beaucoup de chance car il a été tourné avec le chef-opérateur que je voulais absolument avoir, à savoir Henri Alekan [chef-opérateur de nombreux films, notamment La Belle et la Bête], décédé peu après. Ce film évoquait la mythologie égyptienne, et plus précisément le mythe d’Isis et d’Osiris. Carolyn Carlson y interprétait le rôle d’Isis, Larrio Ekson celui d’Osiris, tandis que Jorma Uotinen [danseur de la compagnie de Carolyn Carlson] était Seth. Ce film a été tourné en studio et coproduit par France 3 et la Sept, c’était juste avant la création d’Arte. C’est mon film majeur, celui qui m’a vraiment plongée dans l’univers de la danse.



Mon idée était en fait de construire toute une série sur les mythes, où les danseurs se substitueraient aux comédiens, et où, à chaque fois, un chorégraphe différent serait évoqué. Le projet suivant devait ainsi porter sur la mythologie grecque. Le film était prêt, il s’intitulait Le Rêve d’Icare, mais finalement il n’a pas pu se faire. Il faut avouer que j’ai mis du temps à m’en remettre financièrement. Pendant tout ce temps, j’ai écrit de nombreux projets, notamment sur le chamanisme, mais aussi sur la danse.

C’est en fait en voyant Le Rêve d’Othello, une création chorégraphique de Larrio Ekson, interprétée par ce dernier et Agnès Letestu, que j’ai eu l’idée de créer une petite fiction sur le thème d’Othello. J’ai passé beaucoup de temps sur le montage, après avoir tourné ce film en surimpression, une technique rarement utilisée dans le domaine de la danse et d’autant plus risquée que les balletomanes aiment voir des images «pures». Mais ici, le recours à ce procédé était spécifiquement lié au thème de la folie d’Othello. Agnès Letestu a beaucoup apprécié ce film et sa réalisation.

J’ai ensuite tourné un portrait de Larrio Ekson, intitulé Flight of Eagle Spirit. Le film s’est fait entre Paris, New York et Venise. J’ai voulu raconter le parcours de ce danseur exceptionnel qui, après avoir connu une enfance très difficile à Harlem et découvert la danse à seulement 16 ans, s’est retrouvé en Europe à interpréter les rôles principaux dans les ballets de Jiri Kylian, de Maurice Béjart, de Roland Petit, et évidemment de Carolyn Carlson, dont il a été le partenaire pendant trente ans. Je l’ai plus tard filmé dans un solo à la Biennale de Venise.

Ce film, Agnès Letestu l’a aussi vu et aimé, et à partir de là, le projet de lui consacrer un portrait est né, d’autant plus qu’elle atteignait – c’était en 2004-2005 – sa période de maturité en tant qu’interprète. J’ai donc suivi Agnès Letestu pendant un ou deux ans, à Paris, mais aussi à Florence et à Valence et le résultat, c’est le film Regards sur une étoile.


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Comment avez-vous décidé ensuite de tourner le film Comme un rêve?

Tout est parti d’une rencontre. Dans un premier temps, c’est Larrio Ekson, avec lequel j’avais tourné Le Rêve d’Othello, qui m’a présenté Dominique Khalfouni et plus ou moins suggéré de faire un film sur elle. Cette rencontre avait eu lieu à l’occasion de la projection du Rêve d’Othello que Dominique avait du reste beaucoup apprécié. Je n’étais pas opposée à l’idée de Larrio, mais j’ignorais alors ce qui allait advenir de tout cela. C’est petit à petit que le projet s’est imposé à moi. J’ai pourtant mis au moins deux ans pour convaincre Dominique Khalfouni de l’intérêt de ce tournage. Ensuite, il a fallu la découvrir peu à peu, car elle ne se livre pas facilement. Au fond, ce film a été une aventure, comme tout film, mais une aventure progressive, en même temps qu’une amitié magnifique. Très rapidement, il est apparu évident qu’il fallait également évoquer Mathieu Ganio dans le portrait de Dominique Khalfouni, autrement dit la transmission de la mère au fils. Il venait d’être nommé étoile et les points communs entre leurs deux trajectoires sautaient aux yeux.

Sur combien de temps s’est déroulé le tournage?

Le projet s’est concrétisé fin 2006, et le tournage a eu lieu principalement mi-2007. J’ai fait un premier montage, sachant que le film n’était pas achevé, car je voulais absolument avoir les témoignages de Mikhaïl Barychnikov et Vladimir Vassiliev. Je me suis d’ailleurs particulièrement attachée à ce dernier, d’une part parce qu’il était très heureux de revoir Dominique Khalfouni et d’autre part pour le contenu si touchant de ses propos. Le film s’est donc fait à peu près sur deux ans.

J’ai aussi voulu suivre Mathieu Ganio à Saint-Pétersbourg quand j’ai appris qu’il allait danser Giselle avec Olesia Novikova dans le cadre du Festival du Mariinsky. Le concernant, je voulais terminer sur une chorégraphie contemporaine, et comme Wayne McGregor m’avait donné son accord, j’ai filmé les répétitions de Genus (on voit aussi deux minutes de spectacle) avec Agnès Letestu. Cela permettait d’illustrer une certaine évolution du répertoire de l’Opéra de Paris. Il était également important à mes yeux de filmer Mathieu Ganio précisément avec Agnès Letestu, qui est liée de près à sa nomination en tant qu’étoile sur Don Quichotte. Il y avait là aussi comme une histoire de transmission. Je me suis dit aussi que c’était peut-être la dernière fois qu’ils dansaient ensemble.

Pour Dominique Khalfouni, la recherche de documents, qui constituent un des aspects de son portrait, s’est avérée très difficile. Par ailleurs, certains étaient très abîmés, comme ceux avec Noureev. D’une certaine manière, ce travail-là a aussi été une véritable aventure.


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Comment s’est fait le choix des intervenants?

C’est un choix personnel que j’ai également soumis à Dominique Khalfouni. Il y a aussi eu des changements au cours de la réalisation… Je tenais en tout cas à avoir les témoignages de Michaël Denard ou de Patrick Dupond. Le choix s’est finalement porté sur Michaël Denard, car il a été un partenaire fréquent de Dominique Khalfouni. Cela dit, elle a apprécié tous ses partenaires, il faut le souligner. La présence de Vladimir Vassiliev était très importante, du fait de l’admiration profonde que lui porte Dominique Khalfouni, admiration qui s’étend plus généralement à la Russie. Mikhaïl Barychnikov était aussi une évidence, car elle a fait une tournée pendant six mois avec lui et l’ABT. Elle a d’ailleurs hésité un an ou deux entre les Etats-Unis et le Ballet de Marseille, qu’elle a finalement décidé de rejoindre, il est vrai aussi pour ses enfants qui étaient alors en bas âge. Quant à Pierre Lacotte, il est un très grand admirateur de Dominique Khalfouni. Il a recréé Le Papillon pour elle et fait ses adieux à la scène dans ce pas de deux qu’il interprétait à ses côtés. De tels détails, peut-être moins connus, m’ont paru importants et c’est aussi pour cela que j’ai voulu les montrer dans le film.

Pourquoi ce titre : Comme un rêve?

Un jour, dans la salle de montage, Dominique Khalfouni m’a dit : «Ce film, ça a été comme un rêve». Le titre est venu comme ça, très simplement.


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Avez-vous des modèles en matière de films de danse?


Non. Ce qui peut éventuellement m’influencer, ce sont certains cinéastes que j’ai aimés. Le cinéma tchèque, le cinéma italien, Kubrick aussi, et surtout le cinéma russe : Mikhalkov, notamment quand il traite Tchekhov, ou Konchalovsky. Comme un rêve a d’ailleurs été sélectionné en novembre dernier pour un festival de documentaires à la Fondation Soljenitsyne à Moscou. Le film a été conservé dans les archives de la Fondation et j’ai moi-même reçu un diplôme pour la promotion de la culture russe dans le monde. A cet égard, je suis, tout comme Dominique Khalfouni, très attirée par la Russie. La Giselle du Festival du Mariinsky, dont on voit des extraits dans le film, a par exemple été une magnifique expérience : j’ai trouvé Olesia Novikova merveilleuse aux côtés de Mathieu Ganio. Cette fille est vraiment un amour, elle m’a du reste fait penser à Dominique Khalfouni. J’espère vraiment que Mathieu Ganio pourra y retourner danser cette année.

Pour revenir à la question, oui, j’ai vu des films de danse, notamment ceux de Dominique Delouche, dont j’ai suivi le travail, ce qui ne m’empêche pas d’aller mon propre chemin.

Qu’est-ce qui au fond relie tous vos films?

Pour répondre à cette question, je dirais qu’il y a bien une cohérence artistique derrière tous mes films. A chaque fois, c’est la conjonction de plusieurs facteurs : des opportunités, des rencontres artistiques, sans oublier une attirance humaine. Pour moi, on ne peut pas faire un film sur la danse et sur des danseurs sans une émotion particulière, une émotion qui doit exister dès le départ. Dominique Khalfouni m’émeut, tout comme Agnès Letestu, extraordinaire dans certains rôles. C’est cette émotion qui me donne envie de suivre des artistes. Après, il est évident que certains se livrent plus que d’autres. Larrio Ekson par exemple se livre très facilement : c’est quelqu’un de très généreux qui a un immense besoin d’échange. C’est aussi le cas de Vladimir Vassiliev. Avec d’autres, que ce soit Agnès Letestu ou Mikhaïl Barychnikov, c’est plus difficile. Barychnikov notamment est très renfermé, il se livre peu, on le ressent d’ailleurs, je crois, dans le film. Il y a simplement des êtres que j’ai envie d’approcher : Vassiliev ou Maximova par exemple, je pourrais les filmer tout de suite, même si cela a déjà été fait… Filmer de belles images de danse ne me suffit pas, il me faut autre chose qui relève de la sensibilité. Pour la suite? Natalia Makarova m’attire beaucoup, mais au fond, je ne sais pas ce que je vais faire et le futur reste encore un point d’interrogation…


Entretien réalisé le 13 décembre 2008

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