Mathieu Ganio - Marlène Ionesco

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Interviews

© Photo: Mathieu Ganio

Etait-il prévu initialement que vous soyez filmé aux côtés de votre mère, autrement dit que le portrait soit double ? Qu’avez-vous ressenti quand on vous a proposé de figurer aussi dans le film ?

Au départ, le projet était centré sur ma mère. Peu à peu, l’évocation de la filiation s’est plus ou moins imposée. Ma sœur et moi, nous jouons un rôle important dans sa vie, nous sommes tous les deux danseurs, et il apparaissait intéressant et logique de développer les parallèles entre nos destins.


Je me trouve au début de ma carrière et je ne suis pas grand-chose à côté de ma mère, alors, c’est vrai, je ne voulais pas que les gens jugent cela prétentieux de faire un film à ses côtés à mon âge et avec mon peu d’expérience… En même temps, j’ai été très heureux et très fier de figurer dans un film qui lui rend en quelque sorte hommage. C’est au fond un beau cadeau que m’a fait Marlène Ionesco.

Dominique Khalfouni ne se définit pas comme un «conseiller artistique» auprès de vous. A vos yeux, quel rôle joue-t-elle dans votre carrière de danseur ?

Le regard d’une mère est toujours important, qu’on soit ou non danseur. En tant qu’individu, je ne peux donc pas nier ce regard. Il se trouve que ma mère possède en plus un regard professionnel et averti qui peut éventuellement faire mal. Je sais que je ne peux pas tricher avec elle. Il est donc important pour moi qu’elle supervise un peu les choses. Elle a le recul nécessaire que je n’ai pas toujours quand je suis amené à faire des choix et à prendre des décisions. Je dirais qu’elle est plutôt un guide. Elle n’est pas là au quotidien, elle est là ponctuellement et elle ne s’impose jamais à moi. Au contraire, c’est moi qui lui demande son avis. Elle est très discrète, et je lui en suis d’ailleurs reconnaissant. Lorsque je la sollicite, c’est vraiment parce que j’en ai besoin. Je ne reçois alors pas ses avis comme des corrections ou comme des bons points qu’elle me distribuerait. Elle met simplement le doigt sur des aspects particuliers qu’il me faut travailler. Il ne s’agit pas de corrections techniques du type «ferme ta cinquième» ou «fais attention à tes pirouettes» - tout cela, elle sait bien que je le sais -, mais ce serait plutôt «travaille davantage tes bras» ou «dans tel rôle, tel sentiment est à creuser». Ce sont donc des remarques plus générales que les corrections que peuvent me procurer les professeurs ou les répétiteurs de l’Opéra, qui sont tout à fait qualifiés pour cela.

Quel regard portez-vous sur votre mère en tant que ballerine ? L’avez-vous vue danser ?

Je l’ai vue presque exclusivement dans les ballets de Roland Petit. Il était d’ailleurs très émouvant pour moi de pouvoir avoir accès, grâce au film de Marlène Ionesco, à des témoignages et à des vidéos liés à la période antérieure au Ballet de Marseille. J’ai des souvenirs très précis d’elle dans certains ballets de Roland Petit comme Notre-Dame de Paris. Ma Pavlova, non… [ballet dans lequel Mathieu Ganio apparaissait tout petit auprès de sa mère] C’est d’ailleurs très bizarre pour moi de regarder cette vidéo, je n’en ai pas de véritable souvenir en fait, ou alors c’est inconscient.

Je n’ai pas du tout un regard critique sur elle et sa carrière. Mon regard est uniquement porté par le souvenir. C’est difficile à expliquer, mais lorsque je la regarde, je ne vois pas vraiment une danseuse, donc ce n’est très pas objectif… Au fond, elle reste toujours ma mère. C’est d’abord elle que je vois, avec toute l’émotion et l’exigence que cela comporte de voir sa mère sur scène.


Peut-on parler de filiation artistique entre vous deux ?


C’est vrai et cela nous amuse de voir les similitudes entre nous, ne serait-ce que sur le plan extérieur, car ces ressemblances ne sont pas toujours des choix. Nous avons tous deux été nommés étoiles alors que nous n’étions que sujets. La Russie a beaucoup compté dans notre enrichissement artistique. Nous avons eu, jeunes, des accidents sérieux. On partage aussi, plus ou moins, la même sensibilité artistique.


A ce propos, Marlène Ionesco vous a longuement filmé en Russie, à Saint-Pétersbourg, où vous avez notamment dansé Giselle avec Olesia Novikova dans le cadre du Festival du Mariinsky. Etait-ce une volonté de Marlène Ionesco de vous filmer là-bas ?

Marlène Ionesco avait besoin de me filmer. A partir du moment où il a été décidé que je figurerai dans le documentaire, elle m’a proposé de l’appeler dès que je le jugerai nécessaire, dès que l’envie s’en ferait sentir. Dans une carrière de danseur, soumise aux blessures et aux changements de distribution, il est parfois difficile et délicat de prévoir les choses trop à l’avance. Dès que j’ai su que j’étais réinvité au Festival du Mariinsky en 2007, j’ai pensé que ce serait une belle occasion d’être filmé et qu’il aurait été dommage de ne pas en profiter. Je l’ai prévenue au dernier moment pour être certain que cela serait possible. Le fait d’être avertie au dernier moment était sûrement moins pratique pour elle que pour moi, qui suis très angoissé, mais elle a tout de suite accepté et elle a finalement pu me rejoindre.

Quel rôle a joué cette expérience russe dans votre carrière ?


Cette expérience m’a ouvert les yeux, en même temps qu’elle m’a permis de franchir un palier dans ma carrière. Elle est de celles qui renforcent ou ébranlent certaines certitudes. Lorsqu’on revient chez soi, on a peut-être une idée plus précise de ses attentes et de ses envies face à la danse et face à sa carrière. Je ne suis pas revenu meilleur, au sens où j’aurais fait des progrès, mais j’ai découvert en Russie une autre façon d’envisager le spectacle et le travail quotidien du danseur.

Là-bas, les danseurs ont des «coachs» personnels. Autrement dit, ils n’ont pas un répétiteur qui les ferait travailler sur une production donnée, mais un répétiteur qui les suit tout au long de la journée et sur tous les ballets qu’ils ont à travailler. J’ai travaillé pour ma part avec Yuri Fateev, l’actuel directeur du Mariinsky, et j’ai adoré la manière dont il m’a coaché. Il m’a donné confiance en moi et il a adapté la chorégraphie de Giselle à ma personnalité. A Paris – et ce n’est pas une critique du tout -, on est souvent tous très fidèles à une même chorégraphie d’origine. En Russie, bien que la tradition soit très forte, il existe en revanche une grande liberté dans l'exécution des petits détails de la chorégraphie, que ce soit dans les pantomines ou dans les variations : on privilégie donc un travail artistique qui sera davantage personnel.

A Paris également, il faut reconnaître que nous sommes très privilégiés pour ce qui est des conditions de travail. Elles sont plus difficiles à Saint-Pétersbourg, ne serait-ce que pour les disponibilités en matière de studios – je n’ai quasiment pas répété là-bas -, mais du coup, lorsque les danseurs se retrouvent en scène, ils assurent le spectacle et donnent tout pour que le spectacle soit un instant vraiment magique. Peut-être est-ce plus difficile au quotidien, mais en tout cas, c’est comme cela que moi je l’ai vécu. Je me suis dit en rentrant qu’il fallait que je me serve de cette expérience pour ma danse et pour l’Opéra.

Avec ma partenaire Olesia Novikova, tout s’est très bien passé. C’était une belle rencontre. Je la connaissais déjà, car j’avais dansé l’année précédente Don Quichotte avec elle. C’était d’ailleurs un peu curieux d’avoir été invité une première fois pour danser le rôle de Basilio, car ce n’est quand même pas celui qui me convient le mieux.

On vous voit également danser assez longuement dans un extrait de Genus de Wayne McGregor. Cette expérience a-t-elle revêtu une importance particulière pour vous ?

Marlène Ionesco a choisi ces extraits, car ils correspondaient au moment du tournage du film. Wayne McGregor était une rencontre importante, car c’est un chorégraphe avec qui il est intéressant de travailler. Malheureusement, je me suis blessé très vite (une double hernie), donc je n’ai pas vraiment eu le temps d’en profiter sur scène. La chorégraphie était très dure pour la tête, si je puis dire, car il y avait beaucoup de choses à apprendre, beaucoup de comptes. Par exemple, Wayne McGregor aimait nous apprendre une phrase pour ensuite la déstructurer, ou bien nous la faire exécuter seulement avec les jambes ou seulement avec les bras, ou encore mélanger des phrases différentes exécutées simultanément avec les bras et avec les jambes. Cette chorégraphie nous faisait donc beaucoup travailler le cerveau et plus encore la coordination. On abordait là une nouvelle façon de bouger, dont je n’avais pas vraiment l’habitude. On a d’ailleurs fait beaucoup d’ateliers avant d’aborder la chorégraphie proprement dite.


Le film est d’abord sorti au Japon. Est-ce lié à votre popularité auprès du public japonais ?


Les Japonais ont été les premiers à avoir été intéressés par le DVD. Ils sont très friands de danse et c’est vrai, à chaque fois que j’y retourne, je reçois un très bon accueil. C’est très agréable d’aller là-bas, car ils ont vraiment une culture et une passion pour la danse. Quant à ma popularité, c’est peut-être un bien grand mot… D’autres danseurs français s’exportent très bien au Japon… Mais peut-être sont-ils touchés par la filiation avec ma mère, Dominique Khalfouni, qu’ils connaissent aussi. En tout cas, j’aime et j’admire beaucoup leur ferveur pour la danse. Au Japon, j’ai toujours vécu des rencontres importantes, à la fois pour moi et pour ma carrière.



Entretien réalisé le 16 décembre 2008

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